Carte blanche : Les sachets de nicotine

JongerenVendredi, 3 Février 2023

 

Interdiction des sachets de nicotine : un pas dans la bonne direction ! 

 

Suzanne Gabriels, Fondation contre le Cancer

Veerle Maes, Kom op tegen Kanker

Pierre Bizel, Observatoire de la Santé du Hainaut

Si l’on en croit nos ministres, les sachets de nicotine, actuellement exposés bien en vue sur le comptoir de nombreux magasins, devraient disparaître du commerce. Selon le récent plan antitabac, signé non seulement par le ministre de la santé publique Frank Vandenbroucke mais aussi par 23 autres ministres, la vente de ces sachets de nicotine sera bientôt interdite. Une bonne chose pour la Fondation contre le Cancer, Kom op tegen Kanker et l’Observatoire de la Santé du Hainaut. Et ce pour différentes raisons.

Les sachets de nicotine permettent d’absorber de la nicotine par voie orale. Mais il ne faut pas les confondre avec les substituts nicotiniques oraux vendus en pharmacie. L’innocuité et l’efficacité de ces derniers sont en effet scientifiquement prouvées dans le cadre du sevrage tabagique. Jusqu’à présent, rien n’atteste en revanche que les sachets de nicotine aident à arrêter de fumer. Au contraire : ils peuvent même maintenir les fumeurs dans leur état de dépendance et ainsi nuire aux nombreux efforts de lutte contre le tabac (par ex. environnements sans tabac). Les sachets de nicotine peuvent en effet être utilisés très discrètement à des endroits où il est interdit de fumer et de vapoter. Les fabricants les présentent d’ailleurs aux fumeurs et à leurs actionnaires comme un moyen de compenser les moments où l’on ne peut pas allumer une cigarette. Les sachets de nicotine réduisent ainsi à néant l’un des effets escomptés des environnements sans tabac, à savoir encourager les fumeurs à essayer d’arrêter.

 

La nicotine nuit à la santé

Et nous avons une bonne raison de nous réjouir de l’interdiction des sachets de nicotine : nous souhaitons protéger les enfants et les jeunes de l’addiction à la nicotine.

À haute dose, la nicotine surstimule le système nerveux et peut entraîner de l’arythmie. Elle entraîne une très forte dépendance, et en particulier quand elle est consommée par des jeunes dont le cerveau est en plein développement. Les jeunes qui sont dépendants à la nicotine sont en outre plus susceptibles de devenir dépendants à l’alcool et aux drogues.

Les sachets de nicotine, surtout lorsqu’ils sont achetés en ligne, peuvent contenir des quantités de nicotine supérieures au seuil de sécurité. Ils peuvent également contenir des ingrédients inconnus qui impliquent un risque d’effets secondaires graves, de réactions allergiques ou d’interactions avec des médicaments. Compte tenu de leur faible poids, les enfants sont plus sensibles aux effets secondaires potentiels.

Actuellement, il n’existe pas de cadre législatif clair concernant les sachets de nicotine dans notre pays. Il n’y a pas non plus de règles quant à la composition et à l’emballage des sachets de nicotine en vente dans les magasins.

 

Les jeunes : un public de prédilection

C’est précisément parce que la nicotine n’est pas aussi inoffensive que d’aucuns voudraient le faire croire et parce qu’elle a des effets addictifs qu’il est important d’éviter que les non-fumeurs – en particulier les jeunes – commencent à utiliser des sachets de nicotine. Et c’est ici que le bât blesse. Compte tenu des nombreux goûts dans lesquels ils sont disponibles – y compris la saveur menthol, pourtant interdite pour les cigarettes –, ces sachets exercent un grand pouvoir d’attraction sur les jeunes. Ils sont en outre très bon marché et donc facilement accessibles. Autre problème : comme on ne voit pas et ne sent pas quand quelqu’un les utilise, il y a peu de contrôle social par les parents ou les enseignants, ce qui augmente le risque d’addiction chez les jeunes.

 

« Si ces produits s’adressent aux fumeurs adultes, comme l’affirment les fabricants de tabac, pourquoi leurs stratégies marketing visent-t-elles les jeunes ? »

 

L’industrie du tabac cible les jeunes, ce n’est pas un secret. Elle fait tout pour les séduire avec ses produits, les rendre dépendants et ainsi en faire des clients fidèles. Si ces produits s’adressent aux fumeurs adultes, comme l’affirment les fabricants, pourquoi leur stratégie marketing vise-t-elle les jeunes ? Les nombreuses publications sur TikTok, Instagram et Facebook mettent ce ciblage en évidence.

 

Un pas en direction d’une génération sans tabac

Les sachets de nicotine sont un produit relativement nouveau, lancé il y a peu sur le marché belge. Nous sommes donc ravis que nos ministres réagissent rapidement et posent des limites à travers cette mesure. Dans le contexte actuel, où les multinationales du tabac se profilent très activement sur le marché des nouveaux produits à base de nicotine, c’est loin d’être évident. Le poids de ce genre de multinationales, en termes économiques et de lobbying, est considérable. Heureusement, nos ministres ne se laissent pas aveugler par les belles paroles de l’industrie du tabac, mais continuent d’appliquer le principe de précaution en ce qui concerne les jeunes, sans fermer la porte à une approche innovante du sevrage tabagique. C’est aussi ce qui ressort du plan antitabac, qui contient de nombreuses mesures en vue d’une politique adéquate concernant la cigarette électronique.

L’interdiction des sachets de nicotine représente un pas important en direction d’une génération sans tabac, même si nous n’y sommes pas encore. D’autres efforts seront nécessaires pour en faire une réalité. Ce que nous attendons encore dans un avenir proche, c’est une hausse substantielle des accises sur les produits du tabac, en plus de l’inflation. Car il s’agit de la mesure politique la plus efficace pour faire diminuer le tabagisme. En outre, un mécanisme de financement durable est aussi nécessaire de toute urgence pour les actions du plan antitabac. Car sans fonds supplémentaires, notre onéreux système de soins de santé restera un « service de rafistolage », où l’on travaille incroyablement dur pour réparer les dégâts, mais où les moyens manquent cruellement pour les éviter. Nous attendons donc avec impatience les prochaines mesures de nos ministres en vue d’une génération sans tabac : la génération de demain, dont nous devons préserver la résilience et la santé (mentale), loin des griffes de l’industrie du tabac.  

En tant que citoyens, nous devons pouvoir compter sur les autorités pour créer les conditions de base pour une vie belle et saine. Tout comme nous comptons sur elles pour garantir notre sécurité nationale ou l’approvisionnement énergétique nécessaire. Les récentes crises (COVID-19, guerre en Ukraine, crise de l’énergie) nous montrent clairement que, pour les questions essentielles, nous devons prendre nous-mêmes les choses en main. Cela vaut également pour la santé publique. Nous ne pouvons pas compter sur l’offre de sachets de nicotine de Big Tobacco. Ils poursuivent d’autres intérêts : faire des bénéfices pour leurs actionnaires.